Metastabile
«toujours en devenir, à peine formée, stable en apparence, mais précaire et pleine de potentiels vivaces[1]»
Ancien Cinéma Corso, TILT, Renens, 2025
METASTABILE est le résultat d’une recherche-création menée conjointement par les artistes-chercheuses Lucia Masu et Clotilde Wuthrich à propos de l’histoire passée et présente de l’actuelle ruine de l’ancien cinéma Corso de Renens. Cette restitution prend la forme d’une exposition installative portant sur la nature des activités enchevêtrées de ses habitant·es humain·es et non humain·es et de leurs conséquences.
L’exposition se tient plus précisément dans le sous-sol de l’ancien cinéma occupé pendant plusieurs décennies par la discothèque Madison (1979-1992), lieu de vie nocturne par excellence. Un espace aujourd’hui, et depuis plus de trente ans, réellement et constamment plongé dans la nuit, puisque devenu ruine: lieu en apparence immobile et déserté; à la fois témoin d’une activité humaine passée et indice de sa destruction puisque, en 1992, c’est une explosion qui met fin à son activité. Dans le bâtiment démoli en 1999, le silence, l’obscurité et l’humidité ont pris possession de l’espace dès lors plongé dans le sommeil. Bien qu’en réalité, ces lieux a priori hostiles à la vie hébergent encore aujourd’hui des récits et des formes vivantes, dans un espace-temps en équilibre instable.
En français, métastable se dit d’un système qui, sans être stable, semble tel en raison d’une très faible vitesse de réaction ou de transformation. Employé ici en italien – la langue maternelle de l’une des deux artistes – il permet d’extraire ce mot de son contexte originaire scientifique pour lui donner une nouvelle couche de sens, cette fois artistique, en honneur aux strates multiples du lieu : son histoire, sa géographie, ses habitant·es (animaux humains et non humains, minéraux, microbes,…).
L’installation vise alors à rendre visible l’invisible et prend la forme d’un itinéraire constitué de larges pans de tissus translucides reprenant les formes de l’ancien mobilier aujourd’hui disparu, dont il ne reste que quelques traces au sol, et sur des plans trouvés dans les archives communales. Sur les tissus suspendus ont été imprimés, sous forme de collages, les traces visuelles de ces différentes présences et de leurs interactions : on y trouve en arrière fond des frottages des surfaces des lieux qui font réapparaître les gestes et actions des ouvriers qui ont œuvré à la construction du bâtiment en béton (coffrage en bois, traces de colle sur le sol et les murs …) ou celles d’autres artistes ayant intervenu plus tôt dans cet espace. Y sont superposés des dessins et photographies des habitant·es actuel·les de cet écosystème particulier, proche à la fois de la grotte et du bunker. En résultent des paysages ou des cartographies habitées de papillons de nuit (cocons, chrysalides, chenilles), d’araignées et de cloportes ; de microbes et de champignons ; de minéraux (fistuleuses et salpêtre) superposés à des plans d’aménagement de l’espace. Un peu plus loin encore, des draps de lit suspendus viennent compléter le parcours dans les recoins plus sombres de l’espace d’exposition : pendant deux mois, on les a laissés couchés au sol – pour acter une forme de résidence in situ. Ils se sont imprégnés de l’humidité du lieu et ont hébergé et révélé l’activité créatrice des champignons migrant sur le tissu de coton blanc.
Et tout autour une installation sonore rappelle cette présence de l’eau – qui coule, qui s’infiltre, qui transporte, qui bulle et qui claque dans les parois brutes et résonantes du béton: tantôt comme des chants, des murmures ou des cris recueillis plus tôt, ici-même, et qui, restitués dans l’exposition, laissent entendre aux visiteur·euses – si un doute venait à persister encore – que cet endroit ne s’est en réalité jamais assoupi.
L’installation sonore a été assurée par Benoît Moreau.
[1] Emma Bigé et Barbara Satre, « Destructions, effondrements, résurgences » in Cahiers Mésozoaires no 0 – Destructions, École Supérieure d’art d’Aix-en-Provence, Décembre 2021, p.9.
Crédit photos: © Samuel Matzig
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Date:
3 novembre 2025